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LA « FONCTION OUTIL » DU VEHICULE TERRESTRE A MOTEUR : CAUSE D’EXCLUSION DE LA LOI BADINTER

31/01/2022

Cass., Civ. 2ème, 9 décembre 2021, n°20-14.254 et n°20-15.991

 

La loi du 5 juillet 1985, dite « loi Badinter », a pour but : « l’amélioration de la situation des victimes d’accidents de la circulation et [à] l’accélération des procédures d’indemnisation ». Pour qu’elle soit applicable matériellement, il est nécessaire qu’un véhicule terrestre à moteur soit impliqué dans un accident de la circulation. Or en pratique, il n’est pas toujours aisé de déterminer ce qui constitue ou non un accident de la circulation. Pour se faire, la jurisprudence a élaboré des critères permettant de déterminer si le champ d’application matériel est ouvert ou non.

Dans son arrêt du 9 décembre 2021, la deuxième chambre civile revient sur la notion de « fonction outil » d’un véhicule terrestre à moteur, notion qu’elle oppose classiquement à celle de « fonction de déplacement » ou « fonction de circulation » (voir par exemple Cass. Civ. 2ème, 8 mars 2001, n°98-17.678 ; Cass. Civ. 2ème 18 mai 2017, n°16-18.421).

Les faits sont les suivants, un exploitant agricole a demandé à une société sous-traitante, de procéder au moissonnage d’un de ses champs. Lors de cette opération, afin de débloquer un bourrage, l’exploitant agricole est monté sur la moissonneuse-batteuse. En effectuant cette manœuvre, son lacet (défait) a été pris dans une vis sans fin, sa jambe a été entrainée et arrachée au-dessus du genou.

La victime a assigné la société sous-traitante, la Mutualité Sociale Agricole et son assureur au titre de la garantie complémentaire de santé. La société sous-traitante a appelé en garantie son propre assureur, aux droits duquel est venue la Mutuelle Centrale d’Assurances. L’assureur de la moissonneuse-batteuse est intervenu volontairement à l’instance.

La Cour d’appel considère que la loi Badinter n’est pas applicable. La victime et la société sous-traitante ne pouvant pas, dans ces conditions, bénéficier de leurs assurances respectives, ont formé un pourvoi devant la Cour de cassation.

La question posée à la Cour de cassation, consistait à déterminer si l’accident dont a été victime l’exploitant agricole, était un accident de la circulation au sens de la loi du 5 juillet 1985.

La victime et la société sous-traitante reprochaient à l’arrêt d’appel d’avoir estimé qu’il ne s’agissait pas d’un accident de la circulation car la fonction d’outil du VTM était à l’origine de l’accident. En effet, selon eux, la moissonneuse-batteuse est un véhicule pour lequel les fonctions d’outil et de déplacement sont indissociables car il a vocation à se déplacer et simultanément à utiliser sa fonction d’outil.  De plus, lors de l’accident, le conducteur était toujours présent sur son siège, le moteur toujours en marche et que c’est un mouvement enclenché par le moteur (la vis sans fin) qui avait provoqué l’arrachage de la jambe de la victime, ce qui établissait que la fonction de déplacement du VTM était à l’origine de l’accident.

La Cour de cassation répond par la négative aux moyens des parties.

Elle estime, confirmant l’arrêt d’appel, que le fait que le moteur était en marche et que le conducteur était toujours sur son siège est indifférent. Le critère déterminant selon la Cour, est que le véhicule était à l’arrêt total lors de l’accident. La vis dans laquelle s’est pris le lacet de la victime et qui est à l’origine de ses préjudices est un élément totalement indépendant à la fonction de déplacement du véhicule. Le véhicule se trouvait en position de maintenance de l’un de ses outils, position à laquelle la fonction de déplacement était totalement étrangère. Dès lors, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des éléments de fait et de preuve que la Cour d’appel a estimé que l’accident était exclusivement en lien avec la fonction d’outil, nullement avec sa fonction de circulation et qu’il ne s’agissait pas d’un accident de la circulation au sens de la loi du 5 juillet 1985.

Rappelons que la solution n’est pas nouvelle puisqu’un arrêt plus ancien du 14 octobre 1992 (Cass., Civ. 2ème, 14 octobre 1992, n°91-11.611) avait déjà estimé, dans des faits d’espèce similaires, qu’était en cause la fonction d’outil et non la fonction de déplacement de la moissonneuse-batteuse.  


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